You are here
Séminaire doctoral Philsci - Nicola Bertoldi
Nicola Bertoldi (Paris 1), "La Théorie génétique de la sélection naturelle de R. A. Fisher: une hérésie darwinienne ?"
Résumé :
Dans son introduction au recueil Darwinian Heresies, Abigail Lustig compare les controverses qui ont émaillé l’histoire de la biologie de l’évolution depuis la publication de l’Origine des espèces à la Guerre des trente ans. Il existe, en effet, peu d’autres disciplines scientifiques dans lesquelles les affrontements entre courants de pensée et options théoriques alternatifs se sont manifestés sous une forme qui rappelle de si près l’opposition entre orthodoxies et hérésies doctrinales, ne serait-ce que sur un plan purement rhétorique. Parmi tous les facteurs théoriques et historiques qu’identifie Lustig afin de rendre compte de ce caractère spécifique de la biologie de l’évolution, il convient d’en mentionner trois : premièrement, le rapport historique entre évolutionnisme et théologie naturelle ; deuxièmement, la postérité de l’œuvre de Darwin, qui continue de jouer un rôle de repère théorique fondamental jusque dans les avancées les plus récentes de la discipline qu’elle a contribué à fonder, ce qui n’est pas le cas, par exemple, pour Newton ; troisièmement, la question de la portée épistémique de la biologie de l’évolution : quel est le but ultime d’une telle discipline ? Est-il d’expliquer quelques propriétés fondamentales de la nature, ou d’en décrire l’histoire sur la planète Terre, ou encore, plus spécifiquement, de rendre compte de la nature humaine ? Son intérêt est-il purement théorique ou, au contraire, a-t-elle vocation à fournir aux hommes les connaissances et les moyens techniques nécessaires pour changer la nature, la société et la culture ?
S’appuyant sur de telles prémisses, cet exposé a pour but d’analyser la vision de l’évolution qui se dégage de la Théorie génétique de la sélection naturelle de R. A. Fisher, à l’aune de la question suivante : en quoi une telle vision peut être considérée comme relevant soit d’une « orthodoxie », soit d’une « hérésie » darwinienne ? En d’autres termes, comment se situe la théorie de Fisher face à l’influence de la théologie naturelle sur la tradition darwinienne ? Quel est son rapport à l’œuvre de Darwin ? Quel but attribue-t-elle à la biologie de l’évolution en tant que discipline scientifique ? Afin de répondre à de telles questions, nous analyserons l’intégralité de la Théorie génétique, qui consiste en deux parties : d’une part, un volet théorique, qui vise à étayer les fondements d’une théorie mathématique de la sélection naturelle sous l’hypothèse d’un système mendélien de transmission des caractères héréditaires ; d’autre part, un volet appliqué, qui vise à mobiliser cette même théorie afin de répondre à une question qui pourrait sembler étonnante, à savoir : quels sont les facteurs qui contribuent au développement ou à la chute d’une civilisation ? Notre but sera ainsi de mettre en évidence les liens qui existent entre ces deux volets de la théorie, à l’apparence bien distincts. En conclusion, nous tâcherons également de replacer cette théorie dans le contexte plus général de l’œuvre de Fisher, qui se prête à deux lectures différentes, à savoir soit comme étape dans la constitution d’une « orthodoxie néodarwinienne » que Kim Sterelny et Paul Griffiths ont qualifiée de « vision de l’évolution du point de vue du gène », soit comme une reformulation « hérétique », et d’inspiration fondamentalement bergsonienne, de la théorie de Darwin.