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Colloque "Tristesse ou dépression ?"
Les travaux de Jerome C. Wakefield sur la dépression et la parution de la traduction française de The Loss of Sadness (publié en 2007 avec Allan V. Horwitz), invitent à s’interroger sur la nature de cette catégorie diagnostique et motivent l’organisation de ce colloque.
Une réaction de tristesse intense à une perte semble une constante à travers les époques, voire les civilisations ; les diverses manifestations de cette tristesse sont également constantes : des pleurs intenses, un état de déchéance, la perte d’appétit et de sommeil par exemple. La « mélancolie », souvent associée à de tels états lorsqu’ils sont considérés comme pathologiques, est devenue « dépression » vers la fin du 19e siècle. Les premiers outils diagnostiques ont pris la forme de nomenclatures de troubles, de listes de symptômes statistiquement corrélés, différente des récits de cas cliniques qui caractérisaient la nosographie psychiatrique jusqu’alors.
Ces outils, qui classent la tristesse intense comme étant « normale » ou « pathologique », ont évolué au cours du 20e siècle. Jusqu’au DSM-III (1980), le diagnostic prenait en compte des facteurs environnementaux dits déclenchants dans l’histoire particulière du patient. L’accent mis sur les symptômes observables a ensuite permis d’homogénéiser les démarches diagnostiques et de réaliser des études statistiques à grande échelle. La parution des DSM-III et surtout du DSM-IV a de fait précédé de peu « l’épidémie de dépression » dans tous les pays occidentaux. La parution prochaine du DSM-V sera-t-elle un nouveau tournant, en réintégrant par exemple les facteurs liés aux circonstances vécues ?
La prise ou non en considération des facteurs environnementaux, et en particulier de causes déclenchantes de la tristesse intense, se répercutent sur le nombre de personnes considérées comme « malades » ; en effet, l’identification des « dépressifs » sur la seule base symptomatique conduit inévitablement, selon J. C. Wakefield, à la multiplication de faux positifs. Ceux-ci sont intégrés dans des protocoles de recherches, y compris pharmacologiques, ce qui les biaise, avec des conséquences évidentes sur les politiques de santé publique. Est-ce que la dépression constitue alors un phénomène anthropologique lié à l’identité contemporaine, ou bien toute société a-t-elle identifié des tristesses d’intensité et de durée jugées excessives ? L’ampleur même de cette question suggère l’impact des choix de l’outil de diagnostic sur la représentation de cette entité nosologique.
Le colloque Dépression ou tristesse s’intéressera à ces choix et à leur impact dans une perspective historique, méthodologique et anthropologique. Il abordera des questions telles que :
- Qu’est-ce qui a déterminé les changements dans la manière de penser les critères diagnostiques ? Et quelles en ont été les conséquences sur la statistique de la dépression dans différents pays ?
- Que sera la dépression dans le DSM-V ? Quelles en seront les conséquences ?
- Quel rôle ont joué les faux positifs dans la mise au point de médicaments anti-dépresseurs ?
- Quel sera l’apport des neurosciences, et en particulier des techniques d’imagerie cérébrale, dans le diagnostic, le traitement et l’évaluation des approches thérapeutiques ?
- Sur un plan plus anthropologique, qu’est-ce qui dysfonctionne dans la dépression ?
Le colloque sera organisé de manière à stimuler des discussions approfondies de perspectives différentes. Pour cela, les communications des intervenants seront distribuées un mois avant le colloque et des commentateurs seront désignés pour introduire les débats.
Ce colloque sera gratuit, ouvert à tous, en particulier aux étudiants de l’Institut de Psychologie et aux enseignants chercheurs de cet Institut.
Programme
Amphithéâtre Maurice Halbwachs
Institut de Psychologie, Centre Henri Piéron
71, avenue Édouard Vaillant,
92774 Boulogne-Billancourt
17 juin 2010
9:00 Accueil
9:30 Introduction (Françoise Parot, Université Paris-Descartes)
9:45 Steeves Demazeux, IHPST, Paris
Les critères de la dépression et le DSM
10:05 Discutant (Derek Bolton, King’s College, Londres)
10:15 Réponse et discussion
10:40 Pause café
11:00 Christopher Dowrick, University of Liverpool
Le concept de dépression et les problèmes qu’il soulève en médecine de ville
11:20 Discutant (Françoise Champion, CeRMeS3, Paris)
11:30 Réponse et discussion
12:00-14:00 Pause déjeuner
14:00 David Healy, Cardiff University
La disparition de la dépression
14:20 Discutant (Bernard Granger, Université Paris Descartes)
14:30 Réponse et discussion
15:00 Pause café
15:15 Fernando Vidal, Institut Max Planck, Berlin
La dépression dans le cerveau : comme un désir de causalité
15:35 Discutant (Xavier Briffault, CeRMeS3, Paris)
15:45 Réponse et discussion
16:30-18:30 Projection d’un film et débat
18 juin 2010
9:00 Accueil
9:30 Jerome Wakefield, New York University
La perte de la tristesse: la tristesse normale est-elle abusivement diagnostiquée comme une maladie mentale ?
9:50 Discutant (Alain Ehrenberg, CeRMeS3, Paris)
10:00 Réponse et discussion
10:30 Pause café
11:00 Luc Faucher, UQAM, Montréal
Blues Darwinien : psychiatrie évolutionniste et dépression
11:20 Discutant (Denis Forest, Université Lyon 3)
11:30 Réponse et discussion
12:00-14:00 Pause déjeuner
14:00 Alain Ehrenberg, CeRMeS3, Paris
Comment devenir une pathologie sociale ?
14:20 Discutant (Jerome Wakefield, New York University)
14:30 Réponse et discussion
15:00 Pierre-Henri Castel, CeRMeS3, Paris
Perte, vécu de perte, ritualisation du deuil et mélancolie : une esquisse conceptuelle, pour défendre quelques points de vue de la psychanalyse
15:20 Discutant (Fernando Vidal, Institut Max Planck, Berlin)
15:30 Réponse et discussion
16:00 Pause café
16:15-18:00 Débat général et conclusion du colloque