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Séminaire Philbio - 08 - Marc Ratcliff
Marc Ratcliff, Université de Genève, Genèse et déploiement d’une découverte : la division des infusoires (mitose) par H.-B. de Saussure (1765)
Résumé
L’objectif de ce séminaire est de présenter le modèle du fait scientifique développé dans l’ouvrage Genèse d’une découverte : la division des infusoires (Paris, Presses du Muséum, 2016).
De nombreuses interrogations sont à l’origine de ce travail : quels outils un chercheur doit-il créer pour construire ou identifier un nouveau fait scientifique ? Qu’y a-t-il de commun entre la construction du fait et sa réception ? Comment les contenus d’un cahier de laboratoire interagissent-ils avec les réseaux de correspondances et les publications ? Enfin, comment concilier les champs de l’analyse de la créativité et de la réception d’une découverte de laboratoire ? Pour aborder ces questions, j’ai reconstruit la découverte de la division des infusoires par le savant genevois Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799) – premières images et interprétation de ce que, dans le contexte de la théorie cellulaire, on appellera mitose au milieu du 19e siècle.
L’hypothèse principale sur laquelle repose toute l’analyse est que le savant, ou groupe de savants, qui sort du laboratoire en sachant qu’a été faite une découverte a été fondamentalement transformé. C’est le cas de Saussure, comme le montre l’analyse de son cahier de cahier de laboratoire (1765). A cet effet, l’analyse microgénétique permet de montrer quels types de transformations se sont opérées, créant chez l’auteur un ordre d’évidenciation, relativement à la portion de réalité que la découverte a investie, aussi nécessaire que l’est par exemple aujourd’hui la lecture de l’heure pour chacun d’entre nous. Supposant non seulement une relation entre un système expérimental et un phénomène aboutissant à une interprétation stable, le fait scientifique identifié comporte une dimension supplémentaire de nécessité interne de ce phénomène et la manière par laquelle il se réalise, dont un auteur est le premier à construire les outils mentaux permettant de l’envisionner. Cette première partie de l’histoire nous mènera à explorer la dynamique de confinement, c’est-à-dire la capacité de tout auteur (ou auteur collectif) à rester, le temps de la construction, en deça des frontières du moment fondamental du rendu public où sa découverte, en général par le moyen de la publication, devient un objet pour l’ensemble de la communauté scientifique.Abordant ainsi le temps de la dynamique de relation, on verra le sort de la découverte se sceller collectivement non pas par la reproduction de l’expérience, mais par un mécanisme bien plus profond où les acteurs qui refont les expériences vont en réalité eux aussi se transformer par rapport à la portion de réalité en question. En effet, ces acteurs vont reconstruire en eux-mêmes les outils équivalents qui ont été construits par l’auteur, permettant ainsi de porter sur le fait scientifique objet de la découverte, exactement les mêmes regard et interprétation, devenus nécessaires, que l’auteur. De même que l’auteur dans la dynamique de confinement, les acteurs dans la dynamique de relation en résultent non pas convaincus, mais bien évidenciés.
Nous aborderons ces questions en reconstruisant la découverte et sa réception par une communauté d’acteurs. En reliant l’enquête microhistorique à l’analyse épistémologique pour comprendre le double parcours du chercheur et de son objet, cette enquête propose une nouvelle lecture des relations entre construction, découverte et réception d’un fait scientifique.