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Séminaire PhilBio -03- Charles T. Wolfe
Notre invité sera Charles T. Wolfe (Sarton Center for History of Science, Ghent University), il interviendra sur le thème suivant:
"Organismes, économies animales, constitution de la biologie: Écrire l’histoire du vitalisme"
Résumé:
Le problème du statut du vitalisme dans l'histoire de ce qu'on appelait à l'époque de Canguilhem et Jacques Roger, la « pensée biologique », est connu. Le vitalisme désignerait la doctrine, ou ensemble de doctrines, qui serait aux limites (ou aux marges ?) de la pratique scientifique raisonnable. Selon cette vision commune et encore assez répandue (plus encore dans le contexte anglophone qu'en Allemagne ou en France, où certaines intuitions biophilosophiques font encore partie d'un patrimoine quasi-national, avec des accents kanto-hégéliens, bichato-bernardiens, etc.), le vitalisme consiste à tricher : à faire entrer en jeu des forces vitales mystérieuses, au sein d'une étude prétendument scientifiquement de la nature vivante (en biologie, en embryologie, en médecine, en physiologie, etc.). On doit par exemple à Francis Crick une célèbre formule sur les vitalistes, « charlatans » contemporains (cranks) : « à ceux d’entre vous qui seraient vitalistes, je fais ce pronostic : ce que tout le monde croyait hier, et que vous croyez aujourd’hui, demain seuls les charlatans (cranks) le croiront » (Crick 1966).
J'ai tenté plusieurs fois de dissiper ou critiquer cette intuition courante, surtout en essayant d’historiser la question (Wolfe & Terada 2008, Wolfe & Normandin, dir. 2013), afin de montrer qu’il existe plusieurs formes de vitalisme (Wolfe 2011, 2015a). Au minimum, un vitalisme ‘substantiel’, qui pose l’existence d’une force ou principe vital comme substance (au même titre que le reste des choses existantes au monde) : c’est typiquement la position de Stahl ou de Driesch (ibid.). Puis un vitalisme ‘fonctionnel’, qui cherche à saisir les propriétés fonctionnelles de systèmes vivants, sans transmuer ces propriétés en un fondement ontologique : c’est typiquement la position des vitalistes de Montpellier mais aussi de Claude Bernard, y compris telle qu’elle est reprise de nos jours par W. Bechtel (Bechtel 2007, 2013). Enfin, j’ai tâché de montrer ailleurs que chez Canguilhem, à la suite de Kurt Goldstein (mais prolongeant une intuition kantienne, que l’on retrouvera également chez le Dennett du ‘intentional stance’), on trouve une sorte de vitalisme ‘cognitif’ ou ‘constructiviste’, au sens où il se fonde sur un acte de construction mentale (Canguilhem 1965 ; Wolfe 2013 & 2015b).
Je tâcherai ici (i) de revenir sur cette historisation du vitalisme, en posant la question (ii) de son rapport à l’histoire des sciences et à une pratique scientifique légitime (Šešelja & Straßer 2014), à la constitution de la biologie comme science (McLaughlin 2002, Gayon 2011) et (iii) du statut du vitalisme aujourd’hui, dans un contexte marqué par les divers refus du génocentrisme (particulièrement du type West-Eberhard, Oyama, Griffiths – voir les articles dans le n° spécial de History and Philosophy of the Life Sciences de 2010 sur le concept d’organisme, dir. Huneman et Wolfe) mais aussi dans les tendances vitalistes présentes dans l’énactivisme, que je rangerai dans la catégorie ‘substantialiste’ (tel Evan Thompson, 2007, discuté sous la catégorie d’embodiment dans Wolfe 2014). Car après tout, il ne suffit pas d’opposer à l’opprobre d’un Crick, la suffisance tranquille de l’épistémologie historique.
Bibliographie
Bechtel, W. (2007). Biological mechanisms: Organized to maintain autonomy. In F. Boogerd et al., dir., Systems Biology: Philosophical Foundations. New York: Elsevier.
Bechtel, W. (2013). Dynamic Mechanistic Explanation: Addressing the Vitalist’s Objections to Mechanistic Science. In Wolfe, C.T., Normandin, S. dir., Vitalism and the scientific image in post-Enlightenment life science, 1800-2010. Dordrecht: Springer.
Canguilhem, G. (1965). Aspects du vitalisme [1946-1947]. In Canguilhem, La connaissance de la vie, éd. revue. Paris: Vrin.
Crick, F. (1966). Of Molecules and Men. Seattle: University of Washington Press.
Gayon, J. (2011). Vitalisme et philosophie de la biologie. In P. Nouvel, dir., Repenser le vitalisme. Paris: PUF.
Gilbert, S., Sarkar, S. (2000). Embracing Complexity: Organicism for the 21st Century. Developmental Dynamics 219: 1-9.
McLaughlin, P. (2002). Naming biology. Journal of the History of Biology 35: 1-4.
Šešelja, D., & Straßer, C. (2014). Epistemic justification in the context of pursuit: A coherentist approach. Synthese 191(13): 3111-3141
Thompson, E. (2007). Mind in Life. Cambridge, Mass.: Harvard University Press.
Wolfe, C.T. (2011). From substantival to functional vitalism and beyond, or from Stahlian animas to Canguilhemian attitudes. Eidos 14: 212-235
Wolfe, C.T. (2013). L’organisme : concept hybride et polémique. In J.-J. Kupiec, dir., La vie, et alors ? Une histoire critique de la biologie. Paris: Belin.
Wolfe, C.T. (2014). Holism, organicism and the risk of biochauvinism. Verifiche 43(1-3)
Wolfe, C.T. (2015a). Il fascino discreto del vitalismo settecentesco e le sue riproposizioni. In P. Pecere, dir., Il libro della natura, vol. 1: Scienze e filosofia da Copernico a Darwin. Rome: Carocci.
Wolfe, C.T. (2015b). Was Canguilhem a biochauvinist? Goldstein, Canguilhem and the project of ‘biophilosophy’. In D. Meacham, dir., Medicine and Society, New Continental Perspectives. Dordrecht: Springer.
Wolfe, C.T., Terada M. (2008). The animal economy as object and program in Montpellier vitalism. Science in Context (21(4): 537-579
Wolfe, C.T., Normandin, S. dir. (2013). Vitalism and the scientific image in post-Enlightenment life science, 1800-2010. Dordrecht: Springer.