Notre travail de recherche prend pour point de départ le développement depuis les années 2000 des tests fœtaux sur sang maternel, permettant d’envisager un dépistage généralisé des maladies génétiques et un séquençage entier du génome fœtal en période prénatale. Ces tests semblent bouleverser les pratiques actuelles de dépistage, qui distinguaient jusqu’alors population générale et grossesses à risque, en limitant l’usage de tests génétiques. L’introduction de ces tests a soulevé de vives oppositions, dans la lignée des craintes traditionnellement adressées quant à l’usage des tests génétiques en période prénatale. Nous voulons démontrer que ces craintes relèvent d’un courant de pensée largement dominant en bioéthique, celui de l’exceptionnalisme génétique. Selon ce courant non unifié et aux multiples expressions, les données issues de la génétique sont spéciales et méritent un encadrement éthique et légal spécifique. Nous défendons l’idée selon laquelle les craintes formulées au sein de l’exceptionnalisme génétique sont tout à fait justifiées, mais en tout état de cause non spécifiques aux seules pathologies d’ordre génétique, aussi bien sur le plan épistémique qu’éthique. En cela, en tant qu’il affirme un exceptionnalisme des questions soulevées, ce mouvement perd toute légitimité. Plus encore, de par sa suprématie dans le discours juridique et éthique, il masque les interrogations qui devraient être portées à l’ensemble des pratiques de dépistage et de diagnostic prénatal et entraîne une absence de cohérence dans les réflexions menées dans le domaine prénatal.
Notre travail se base tout d’abord sur une étude historique et conceptuelle des techniques de diagnostic prénatal, qui permet de distinguer trois types distincts de diagnostic, que nous nommons diagnostic prénatal obstétrical, diagnostic prénatal exploratoire et diagnostic prénatal sélectif. L’histoire du concept de diagnostic prénatal permet ainsi de mettre au jour une pluralité de pratiques, relevant de disciplines différentes, et, de fait, de raisonnements et d’objectifs cliniques divers. Le développement de la médecine prénatale et la naissance du fœtus comme patient ont introduit une distinction majeure entre deux types de dépistage et de diagnostic prénataux, l’un relevant du tri et de la sélection, l’autre de l’investigation clinique classique, échappant ainsi aux interrogations éthiques sur ses finalités. Nous développons ensuite une analyse épistémologique et éthique, visant à remettre en question les arguments principaux de l’exceptionnalisme génétique dans le domaine prénatal (spécificité de la nature des données issues de la génétique, sélection des enfants à naître, recherche de l’enfant parfait et discrimination envers les personnes handicapées). Nous cherchons ainsi à démontrer que l’exceptionnalisme génétique n’est pas fondé en tant qu’il affirme la spécificité des questions soulevées par les maladies chromosomiques et génétiques dans le domaine prénatal, par une analyse de contre-exemples issus de la pratique clinique courante et par le questionnement de ses fondements moraux.