La plasticité du vivant: histoire d'un concept et enjeux pour la biologie
L’objectif est de clarifier la signification du concept de « plasticité » en biologie. Cette notion est utilisée dans de nombreux domaines de la biologie (aussi bien en biologie du développement, qu’en écologie ou en génétique). Cette utilisation multiple, plutôt que de rapprocher les différentes disciplines de la biologie, semble constituer un élément problématique pour sa définition et sa compréhension. Ce constat me conduit à m’interroger sur le statut ontologique de ce concept. D’autre part, une analyse historique de cette notion semble fondamentale notamment afin de distinguer une utilisation du concept de plasticité plus ancienne et qui fait référence à une sorte d’ « intuition de la créativité du vivant », qui est transversale aux disciplines et une notion de plasticité qui est utilisé comme un concept scientifique plus ou moins technique, parfois corrélée à des données statistiques et qui diffère selon les disciplines. Dans cette démarche je tenterais de distinguer les entités plastiques en fonction de leur statut ontologique et de l’importance qu’elles peuvent avoir notamment pour comprendre l’évolution. Ce travail implique aussi une compréhension de ce concept comme élément-clé possible au sein de la nouvelle synthèse de l’évolution.
résumé:
Le concept de plasticité est progressivement devenu un concept théorique essentiel dans la biologie depuis le début du XXe siècle. Les biologistes s’y réfèrent aussi bien en biologie du développement, pour caractériser la potentialité des cellules à se diviser et à se différencier, en écologie, pour décrire la pluralité des formes observables pour une espèce donnée en fonction des environnements dans lesquels elle se développe, ou encore en génétique, pour préciser la manière dont l’information génétique peut être régulée. Certains auteurs en sont même venus à se demander si le concept de plasticité n’avait pas acquis aujourd’hui l’importance théorique qui avait été accordée au concept de gène en biologie au début du siècle précédent. Dans cette étude, nous proposons une analyse historique et épistémologique du concept de plasticité dans les sciences du vivant. Nous montrons que si le concept opératoire de plasticité sert à caractériser un paradigme épistémique donné – c’est-à-dire le maintien d’un usage singulier, désormais daté, du concept, fortement lié à l’émergence de la génétique –, la récurrence de l’idée générale de plasticité, tout au long de l’histoire des sciences du vivant, signale son caractère essentiel pour envisager certains phénomènes du vivant. Cette étude montre également que si le concept de plasticité est devenu un élément-clé pour penser une « synthèse étendue » de l’évolution, son importance heuristique pour la biologie contemporaine ne se limite pas à cette seule ambition : tel qu’il est mobilisé dans la biologie contemporaine, le concept de plasticité cherche le plus souvent à rendre compte d’une spécificité du vivant.